Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Le Progrès - Histoire de Mosset

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Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Le Progrès

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PROGRÈS

Nous avons vu que le village est entré désormais dans une période de progrès. Il est électrifié, avec les difficultés que j'ai signalées, alors que la plupart des villages de montagne, et même de la plaine roussillonnaise, ne le sont toujours pas. L'eau coule dans les fontaines et bientôt dans les robinets des maisons. La Poste fonctionne à la satisfaction de tous et le facteur/receveur dispose d'un facteur auxiliaire pour distribuer le courrier dans les écarts : Pierre Mir. Ce sera d'ailleurs un des derniers auxiliaires des PTT.

Durant la guerre les hommes sont "sortis" de chez eux. Certes ils sont allés combattre, mais ils ont également "vu ailleurs" que dans leur montagne pyrénéenne. Ils auront vu que dans cet ailleurs les difficultés sont parfois plus grandes que chez eux, ce qui les aura rassurés, mais qu'il y a aussi des éléments positifs qu'il serait bon de retenir pour les appliquer au retour.

L'école, la grande et belle école devrai-je dire, est fréquentée par tous les enfants du village, toujours aussi nombreux. Dans les années 20, alors que le vieil Arbos a pris sa retraite, le village va recevoir M. Dadies. Ce nouvel instituteur est peut-être le meilleur enseignant que Mosset ait connu durant ce siècle. Je suis de ceux qui auront eu la chance d'avoir ce Maître pour qui l'enseignement n'était pas une simple fonction mais une véritable vocation, voire un sacerdoce.

Comme l'instituteur fait également fonction de secrétaire de Mairie, il aura une grande influence sur les décisions du Conseil Municipal. Dès 1924, il va pouvoir créer une bibliothèque à l'école de garçons, (la mixité est pour bientôt) ouverte à tous.

La Municipalité va même créer une Caisse des Écoles en vue de récompenser les élèves les plus méritants et de porter secours aux plus indigents (fournitures de classe, livres)

En 1926, toujours sous son influence, la Municipalité va se doter d'un projecteur de cinéma qui sera conservé à l'école, un Pathé Baby.  Ainsi toutes les semaines il y aura une projection en soirée et nous aurons la chance de découvrir les premières images de la "photo en mouvement", si je puis m'exprimer ainsi, et des premiers dessins animés avec "Félix le chat".

Les conditions sont donc réunies pour que le village aille de l'avant dans le progrès mais ces divers avantages auront un inconvénient : ils vont faire découvrir à nos paysans combien leurs conditions de vie sont parfois dures, combien leur travail est difficile, combien, trop souvent, leurs efforts sont dérisoires et mal récompensés. Si les besoins augmentent, les revenus ne suivent pas forcément et nos villageois prendront conscience de l'ingratitude, parfois cruelle, de leur condition, cette dernière étant particulièrement soumise aux caprices de la nature, aux intempéries, aux maladies animales et végétales.

Je crois pouvoir dire, qu'en ce qui concerne Mosset, c'est dans les années 20/30 que l'exode rural a commencé. Jusque là les départs existaient déjà mais en très petit nombre. Les plus démunis sollicitaient des emplois subalternes dans l'Administration, comme cantonniers, facteurs, employés des chemins de fer, ouvriers d'usine, autrement dit des emplois pour des hommes sachant tout juste lire et écrire.

Désormais, le paysan s'est rendu compte que l'instruction est le meilleur des acquis pour avancer dans la vie. Les enfants ne se contenteront pas de savoir lire et écrire mais ils passeront le Certificat d'Études. Dans ces années, ce petit diplôme avait plus d'importance que le Brevet de quelque 30 ans plus tard. Avec ce Certificat on pouvait déjà prétendre à des emplois plus gratifiants. Mais on ne s'arrêtera pas là, certains paysans vont pousser leurs enfants vers l'enseignement primaire supérieur ou secondaire, leur permettant, pour l'occasion, l'accès à des postes d'enseignants, de cadres, d'ingénieurs, etc. A ce sujet il y a lieu de préciser que l'enseignement n'a pas la même organisation que de nos jours. Seuls sont gratuits les enseignements primaire et primaire supérieur donnés dans les Cours Complémentaires ou les E.P.S.( École Primaire Supèrieure). Dans les Collèges et les Lycées l'enseignement est payant. En 1930, les P.O. ne comptent que le Collège de Perpignan et les deux E.P.S. de Prades (garçons et filles) et quelques C.C. à Ceret et à Ille. Les bourses existent mais on ne les obtient que par concours, en fonction de l'age de l'enfant et de sa situation de famille.

Maintenant il sera difficile d'arrêter le progrès mais en même temps nous verrons la main d'œuvre paysanne diminuer, les exploitations changer de visage, l'outillage s'améliorer, la mécanisation faire son apparition et quelques hommes, jeunes naturellement, seront à la base de ce bond "en avant".

Des travaux présentant un caractère d'urgence seront entrepris, comme le désenclavement des cortals de montagne. Je vous rappelle qu'ils n'étaient accessibles que par des chemins muletiers, ces fameux Chemins Vicinaux qui, tous les ans, posent des problèmes d'entretien à la commune. On va donc les élargir, et même, si nécessaire, les retracer de façon à faire passer les charrettes. Chaque propriétaire va travailler dans l'équipe du chemin qui donne, entre-autres, accès à sa propriété. S'il est tout à fait en bout il faudra qu'il termine seul. Les paysans seront aidés par l'Administration. En effet celle-ci accepte qu'une partie des impôts fonciers soit payée en journées de travail, sous le contrôle du délégué local, en l'occurrence le chef cantonnier. On appelait cette opération "al treball dels camins".

Ainsi, les chemins élargis, le charroi va devenir plus facile et plus efficace. Naturellement les plus anciens sont souvent opposés à cette amélioration, tantôt par simple rejet du changement, tantôt parce que leurs moyens ne leur permettent pas de se doter d'un engin roulant : chariot ou charrette. Ceux-là continueront à utiliser l'âne ou le mulet.

Le vacher, gardien du troupeau du "Saouca" en été, est logé dans une cabane en pierre et en terre, presque digne des troglodytes, en tout cas logement moyenâgeux. Cette cabane se trouve en bordure de la route de Mosset, vers l'Aude, à quelque trois cents mètres du Col de Jau. En 1927, en lieu et place de la cabane, la commune va faire construire un logement plus décent sous forme d'une maisonnette. Il y a donc progrès.

Par ailleurs, il n'y a pas qu'en montagne que l'accès peut être difficile. Il existe, en aval du village, sur la rive droite de la Castellane, une zone relativement plane, très cultivée. Là aussi l'accès est des plus pénibles, faute de route, avec le mulet ou le dos de l'homme. En amont de la zone, le hameau de la Carole est relié au village par un pont et une route. En aval, environ deux km plus loin, le hameau de Brèzes est lui, relié au village de Campôme. Pour cette liaison il a d'ailleurs fallu construire une mini route entre Brèzes et Campôme. Entre les deux, rien, si ce n'est des chemins difficiles. En 1929, le Conseil Municipal dont François Pujol est le maire et qui sera réélu quatre mois plus tard, décide de construire une route entre les deux hameaux. Le terrain est facile, presque en ligne droite, mais naturellement il va provoquer de nombreuses expropriations. La plupart des propriétaires intéressés vont adhérer au projet, bien qu'il leur en coûte quelques ares, mais encore une fois il y aura les anciens qui feront de la résistance : on va leur abîmer leurs beaux champs, alors que ce qu'il en restera vaudra au moins le double de la valeur initiale. La route sera construite sous la forme du plus grand chantier que Mosset ait connu jusqu'à ce jour. Dès le départ, la municipalité, qui préside à la construction de ce C.V. n° 3, afin de s'exonérer de l'entretien qui risque d'être coûteux, va demander à l'administration des Ponts et Chaussées de le classer en Chemin de Grande Communication, en parallèle avec le C.G.C. n° 14 qui relie Mosset à Prades mais les Ponts et Chaussées ne veulent rien entendre.

Nous voyons donc que, grâce à la ténacité de quelques hommes et malgré la résistance des autres, le progrès fait son petit bonhomme de chemin, parfois au prix de lourds sacrifices.

Un exemple de l'opposition paysanne à certaines formes de progrès : La route départementale de Prades au Col de Jau, que je viens de citer et qui continue vers les villages de l'Aude - car le tronçon Monastir/Col de Jau a été construit - est toujours empierrée. C'était le mode d'entretien à l'époque. Chaque fois que les Ponts et Chaussées décidaient la réfection d'un tronçon on le savait par le tas de cailloux qui s'accumulaient sur le bord de la route. On voyait d'abord à l'œuvre les casseurs de pierre, puis un jour on voyait arriver le rouleau servi par une équipe. Cet engin faisait l'admiration des enfants car il fonctionnait toujours à la vapeur, alimenté par des briques de charbon. Nous restions, des heures durant, fascinés par le halètement de la machine et son va-et-vient sur les cailloux et la terre humide.

En 1929, les Ponts et Chaussées décident de goudronner cette route Départementale 14, mais cette opération soulève l'inquiétude de la population : propriétaires et commerçants. En effet, le charroi ne s'effectue encore qu'avec des bœufs, vaches ou chevaux. Comment ces animaux, ferrés pour la circonstance, vont-ils pouvoir agripper leurs sabots sur le goudron, notamment les bœufs dont le fer est plat. Les bêtes vont déraper sur ce sol dur, surtout dans les côtes, et cette situation pose problème à nos paysans. Le Conseil Municipal demande donc l'abandon du projet et là il s'agit d'une résistance générale au progrès. Néanmoins l'adage est bien connu qu'on n'arrête pas ce dernier et le goudronnage, un temps retardé, sera néanmoins réalisé et tout le monde s'en accommodera. A la décharge de nos paysans il faut dire que l'asphaltage des routes a fait, depuis, de grands progrès, alors qu'en 1930 il pouvait présenter certains dangers, notamment par des plaques glissantes l'hiver et collantes l'été.

Même le Chemin Vicinal reliant la Carole à Brèzes sera plus tard asphalté à son tour aux frais de la commune. Il est vrai qu'entre temps les charrettes et autres chariots ont disparu cédant les places aux engins plus modernes : motoculteurs, tracteurs, camions et camionnettes, fourgons…

Le progrès va se manifester encore par l'installation d'une boulangerie au village. Julien Corcinos, un enfant de Mosset, qui était parti comme mitron quelques années plutôt et qui est devenu un excellent ouvrier boulanger, va venir s'installer au village avec sa famille. Il créera la boulangerie qui existera jusqu'à cette fin de siècle, sauf que le mode de cuisson changera. Au début, Julien ne chauffait son four qu'au feu de bois et, près de la boulangerie, il y avait toujours un énorme bûcher ; puis viendra le chauffage au fuel et enfin l'électricité. Une fois de plus la résistance va s'organiser. Quelques habitants vont, d'emblée, devenir les premiers clients ; d'ailleurs les épiciers vendaient déjà du pain qu'ils faisaient venir de Prades, ce qu'on appelait alors "le pain blanc" par opposition au "pain bis" de nos fours familiaux. Certaines familles consommeront encore, pendant quelque temps, leur pain. D'ailleurs ne fallait-il pas utiliser le stock de farine qui se trouvait au fournil ? Mais Corcinos savait bien que, à brève échéance, tout le village défilerait dans sa boulangerie. De plus il desservira les deux villages voisins de Campôme et Molitg.

Cette nouvelle situation fera tout de même une victime, le meunier et par voie de conséquence le moulin. Gotanegre a pris sa retraite depuis longtemps et un meunier, venu du nord avec sa famille, M. Armengault, exploite le moulin depuis quelque temps. Mais voilà, les mossétois n'ont plus besoin de farine et le meunier va repartir vers le nord. Le moulin s'arrête, les meules ne tournent plus, la bonne odeur de farine n'embaume plus l'air ambiant et c'est bien dommage de voir disparaître ainsi un si beau métier et un si beau moulin. Les mossétois vendront leur blé pour acheter du pain et les fours familiaux, éteints à jamais, risquent l'effondrement et la disparition.

 
Mis à jour le 13/02/2018
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