Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Paysages - Histoire de Mosset

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Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Paysages

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PAYSAGES


L
'ensemble du territoire communal de Mosset est défini par des noms de lieux. La superficie de la commune est très grande, la quatrième du département des P.O. avec 7.000 hectares, de loin la plus importante de la vallée de la Castellane. La majeure partie de la rive droite de la vallée est couverte de forêts d'où la commune tirera les meilleurs profits en vendant, quasi annuellement, des coupes de bois destiné à l'industrie. Une difficulté cependant, ces forêts sont escarpées et souvent d'accès difficile, ce qui va diminuer d'autant la valeur du bois sur pied. Pour amener les billes de bois à portée de camion, il va falloir installer des câbles aériens ou traîner les fûts sur de longues distances, entraînant un coût d'exploitation relativement élevé.

La partie gauche de la vallée est celle des cortals et des troupeaux.  Chaque fois que, dans une conversation, on cite un endroit, on l'appelle par son nom. C'est ainsi qu'on parlera de Rodoles, dal Bac, de Corbiac, de Brézes, de la Carola, del Monastir, del Riberal, Esclairanes, Cantecou, Bugalla, Sarradère, Callau, Pla de Pons, Avellans, Peralade, Pujols, Caraut, la Grange, Rebolleda, Tauleria, Tremolède, Escales, la Close, Cobazet, Estardé, la Solana, Madres, Col de Jau, Al Ras. La liste des lieux dits serait trop longue car un nom peut, parfois, couvrir une assez grande surface ou simplement une seule propriété.

Grâce à ce vocabulaire les conversations deviennent aisées car chacun situe immédiatement le lieu dont on parle et, souvent, la famille exploitante quand ce n'est pas un lieu communal.

Sur le territoire communal, le pacage des troupeaux est payant. Certes la redevance ne peut pas être importante mais il faut bien que la commune dispose d'un minimum de ressources pour son budget. Si les paysans ne sont pas riches, la commune ne peut être que le reflet de ses habitants et son budget est réduit à la portion congrue. Néanmoins les communes voisines lui envient sa forêt d'où elle tire la majeure partie de ses revenus.

Au début du siècle et jusque dans les années 50, certains se souviennent qu'il existait un "décret" municipal qui imposait une quarantaine à tout nouvel exploitant s'installant sur une propriété. Il fallait que ce dernier nourrisse son cheptel sur sa seule propriété pendant quarante jours avant d'avoir accès au territoire communal. Ceci avait pour but d'éviter qu'un exploitant ne s'installe sur une surface trop faible en ne comptant que sur le territoire communal pour nourrir son bétail.

Chaque année, la Municipalité dressait la liste des propriétaires et du nombre de bêtes autorisées à paître sur les vacants communaux, droit de pacage oblige. Je note, par exemple, qu'en 1900 il y avait ainsi recensées : 1300 brebis et 84 vaches. En 1910 : 1350 brebis et 90 vaches. En 1922 : 1040 et 88. On constate que le nombre d'ovins va sans cesse diminuant tandis que celui des bovins augmente d'abord, pour dégringoler vers la fin du siècle.

De mai à novembre, il ne se passait pas de jours sans que les troupeaux n'aillent paître sur les pacages de la commune. D'où une garde rapprochée des troupeaux pour éviter les mélanges, les rencontres, les conflits. Bien sûr le territoire était vaste, mais les troupeaux étaient nombreux et les voisinages tout proches.

Les conflits étaient quasi inexistants et nos paysans vivaient en bonne intelligence aussi bien au village, malgré la promiscuité, que sur les propriétés. Il y avait bien quelques disputes mais généralement sans gravité. Toutefois, quelques conflits ont opposé la Commune à certains pâtres peu soucieux du respect des règlements communautaires.

Malgré un certain égoïsme - quand on est pauvre on n'a rien à partager- les villageois faisaient preuve d'une grande solidarité. On s'entraidait, on se prêtait volontiers des outils ou des instruments de travail. Les mieux nantis, dans ce domaine, cédaient aux autres. La confiance était à la base de toutes les relations. Le paysan ne reniait pas la parole donnée, même s'il se présentait une surenchère. Lorsque le paysan avait conclu un marché avec un acheteur, personne ne pouvait venir faire des propositions plus alléchantes. Il aurait été mal reçu.

Un exemple de solidarité se manifestait lors de la perte d'un animal par suite d'accident. Lorsqu'il fallait abattre une bête, le boucher procédait à l'abattage et mettait la viande en vente au profit du malheureux. Chacun se faisait un devoir d'aller acheter un morceau de viande pour que le paysan puisse s'y retrouver et que sa perte soit atténuée.

Paradoxalement, les conflits les plus durs, les haines les plus tenaces, les fâcheries à vie, naissent dans les familles. Elles ont toutes la même origine : les questions d'héritage. Il arrive qu'il n'y ait pas grand chose à partager lorsque les vieux disparaissent, et moins il y en a, plus on se fâche. Les anciens ont tendance à privilégier les aînés et utilisent l'ancestral droit d'aînesse. Cette tradition est louable car elle évite le morcellement, déjà trop prononcé, en gardant une certaine unité au patrimoine. Ce faisant, elle crée des rancœurs car certains se sentent lésés et, en réalité, ils le sont parfois car on a tendance à sous évaluer les biens. On ne se disputera pas seulement pour la possession d'une maison ou d'un champ mais également pour une armoire, une table, voire une paire de draps. Dans ces conflits familiaux, malgré la violence des paroles, on en viendra que très rarement aux mains.

Pardonne-moi cher lecteur, cette digression nous a éloignés du paysage mossétois et de ses couleurs. J'ai déjà parlé des champs blonds des blés et des vertes prairies d'antan. Il est vrai qu'au cours de saisons nous avions une véritable palette de couleurs. Si les blés passaient du vert au plus beau blond, puis au roux des chaumes, pour retourner à la couleur de la terre, les prés également passaient du vert profond au vert tendre et, dès l'automne, commençaient à pâlir pour passer au roux de l'hiver. Plus tard, la vallée a connu la floraison des arbres fruitiers au printemps : pommiers, pêchers, abricotiers, cerisiers faisaient de la vallée de la Castellane un véritable tapis de fleurs printanières.

Mais la plus belle palette de couleurs était et est encore de nos jours, la forêt en automne. Si l'été elle se présente sous un vert plus ou moins prononcé, dès le mois d'octobre on voit apparaître les roux, les rouges, les marrons, le jaune foncé ou clair. Merisiers, châtaigniers, chênes, peupliers, noisetiers, saules, ormes, aulnes, toutes ces variétés à feuillage caduc, avant de nous montrer leur nudité hivernale nous régalent de leurs teintes changeantes et les plus belles photos sont à réaliser en automne.

Maintenant que les près et les champs sont devenus des jachères, que les jardins sont souvent des ronciers, que les arbres fruitiers ont tendance à disparaître, que la vallée offre au regard une couleur uniforme, il ne nous reste que l'embellie de la forêt.

Il ne serait pas juste d'oublier le village et ses maisons dont la grande majorité a été rénovée. Les couleurs grises d'antan sont devenues de belles couleurs modernes, les façades bien repeintes et les toits aux tuiles rondes bien entretenus, donnent au village une apparence moderne. Par contre, les bâtisses des cortals disparaissent les unes après les autres. Elles tombent en ruine, s'effondrent et, dans la montagne, ce ne sont que pans de murs, seuls témoins de la vie intense du premier tiers du siècle sur ces exploitations.

Ami lecteur, tu vas trouver que l'auteur de ces lignes est bien nostalgique. C'est vrai qu'il a connu cette période qui fut celle bénie de l'âge de l'enfance et que l'homme retourne vers son passé, ne se souvenant que des bons moments de sa vie. Les jeunes de cette fin de siècle ne peuvent nourrir les mêmes pensées, tournés qu'ils sont vers la vie moderne, la joie de vivre, les loisirs, le rock et le rap. A chaque génération ses plaisirs et ses soucis. Ces derniers sont peut-être plus graves et importants que ceux que j'ai connus car ils ont pour nom : chômage, insécurité, violence, intolérance, racisme.

Encore une fois je me suis éloigné du "paysage" pour donner libre cours à mes pensées, pour évoquer un autre "paysage" qu'il aurait mieux valu ne pas connaître. Mais je demeure optimiste et je fais confiance en l'avenir, même pour Mosset qui ne mourra pas.

D'ailleurs, il est une faune qui n'a jamais déserté ce paysage et qui continue à vivre alentour comme par le passé : les oiseaux. Deux événements marquent le printemps et l'automne : la transhumance dont nous avons parlé mais également la migration des hirondelles. Dès le mois d'avril, elles arrivent et s'installent. Elles nichent dans le village et accrochent leurs nids sous les auvents des toits, vieux de préférence. Le nid est un modèle de construction : de la boue qui sèche au fur et à mesure, tapissée de brindilles et de plumes. Des centaines de nids ornent ainsi les dessous de toits. Inconvénient majeur : ces oiseaux gardent leur nid propre et par conséquent font leurs déjections à l'extérieur, souillant balcons, seuils, bancs ou trottoirs. Le rassemblement de centaines d'hirondelles sur les fils électriques est un spectacle courant. Elles cohabitent au village avec les moineaux qui, eux, sont des habitants permanents. La campagne alentour est hantée par les pies criardes qui nichent dans les hauteurs des peupliers, les merles, les bergeronnettes, les mésanges, les alouettes, les corbeaux, les corneilles, quelques faucons, des chouettes.

La faune sauvage se compose de quelques lapins de garenne, pour ceux qui ont échappé à la myxomatose, de rares lièvres et surtout des sangliers qui sont de septembre à janvier l'objet d'une chasse intensive. La Castellane, longtemps délaissée, fait l'objet, tous les ans, d'un alevinage important en truitelles mais les pertes sont si importantes qu'il est difficile, au printemps, de pêcher quelques truites malgré la rareté des pêcheurs. Autrefois, lors de l'irrigation intensive, la baisse des eaux était telle qu'elle provoquait la destruction des truites. De nos jours, ce doit être le manque de nourriture qui provoque les mêmes effets. Il n'en demeure pas moins que les parties de pêche le long du torrent, en été, apportent aux participants des moments très agréables, même quand ils reviennent bredouilles.

 
Mis à jour le 13/02/2018
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