Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - La deuxième guerre mondiale - Histoire de Mosset

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Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - La deuxième guerre mondiale

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LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE


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Septembre 1939, Hitler, le dictateur allemand, qui s'agite beaucoup depuis plusieurs années, décide d'envahir la Pologne. Déjà, en 1938, on a failli déclencher le grand conflit, toujours à cause d'Hitler qui n'en finit pas de vouloir s'étendre. Le Français Daladier et le Britannique Chamberlain se sont inclinés devant lui et son collègue Italien Mussolini.

Cette fois, étant donné les accords qui nous lient à la Pologne, nos gouvernants ne peuvent plus reculer et français et britanniques déclarent la guerre à l'Allemagne. Mobilisation générale, la classe qui devait être libérée est maintenue sous les drapeaux et les autres sont rappelées.

Pour la deuxième fois en un quart de siècle Mosset va voir la fine fleur de ses jeunes hommes quitter le pays pour se porter aux frontières de l'Est. Cette mobilisation, après les départs volontaires des années 30 qui ont amorcé l'exode rural, risque de porter un coup fatal à l'économie du village.

Paradoxalement, ce deuxième conflit qui va ensanglanter la terre entière, exceptés les territoires américains, sera, pour notre village, moins terrible que le premier. Cependant si, après dix mois de guerre, Mosset ne compte pas de morts, il va avoir de nombreux prisonniers, partis en Allemagne et qui, à de rares exceptions, ne reviendront que cinq ans plus tard. Vous rendez-vous compte, cinq ans d'absence, cinq ans de courtes nouvelles, toujours censurées, de colis à expédier et pas toujours arrivés.

Cinq ans pendant lesquels les familles feront face, s'organisant au mieux, alors que tout se dégrade, que l'occupant est de plus en plus exigeant, que les produits, tous les produits, sont de plus en plus rationnés, que les contrôles sont tatillons, que le vainqueur provisoire va d'abord occuper la moitié du pays puis, à partir de novembre 42, la totalité.

Les paysans de Mosset vont connaître des tas de privations car, comme tout le monde, ils vont devoir vivre avec les cartes d'alimentation, d'habillement, de chaussures, etc. Je pense que les jeunes qui n'ont pas vécu cette période ont du mal à imaginer l'imbroglio de ces cartes d'alimentation. Il y en avait une grande quantité, en fonction de l'âge ou de la profession. Par exemple, pour les seuls enfants, il y avait quatre types de cartes réparties par âge, depuis les tout petits jusqu'à vingt ans. Bien entendu elles donnaient des droits différents, à vingt ans on a plus de besoins qu'à deux. Les adultes étaient également répartis en classes et les mieux servis étaient les "travailleurs de force". Par contre, les vieux étaient classés comme ayant les moindres besoins. Il y avait les cartes à points et tout s'achetait avec des points : chaussures, tissus, coton, lainages, linge de maison. Les restaurants continuaient de fonctionner mais "pas de points, pas de repas". Pour nos paysans il y aura une contrepartie non négligeable : alors que les citadins ont faim, les paysans disposeront de leurs propres produits, toujours les pommes de terre et les haricots, la graisse, le lait, les œufs, les volailles, les lapins et, de temps en temps, un agneau, voire un veau ; tout ceci, bien entendu, en trichant car l'administration ne peut pas mettre un contrôleur derrière chaque paysan.

Dans le même temps, nos villageois vont devenir méfiants, car les jalousies, les rancœurs, ne se sont pas éteintes pour autant et des dénonciations peuvent toujours se produire et faire beaucoup de mal. Cette méfiance et le caractère de droiture de nos paysans feront qu'ils ne profiteront pas du "marché noir" qui sévit dans tout le pays. Cette appellation de "marché noir" date d'ailleurs de la dernière guerre, elle n'était pas connue auparavant.

Le "marché noir" sévit partout, c'est le meilleur moyen que les Français, toujours aussi malins, aient trouvé pour contourner toutes les réglementations. Le troc va s'intensifier : "Tu me donnes du beurre et je te donne des espadrilles". Contre du tabac quelques œufs. Ainsi ceux qui ont quelque chose à donner s'en sortiront, mais ceux qui n'ont rien, les petits employés qui n'ont que leur maigre salaire vont souffrir durement. Topinambours et rutabaga, légumes d'une pauvreté inouïe, vont remplacer patates et haricots. Cette période ne connaîtra pas l'obésité car on va manger l'immangeable : du pain dont on se demande avec quelle farine il a été pétri et les aliments pour animaux de cette fin de siècle auraient fait le bonheur de beaucoup de gens, s'ils avaient existé.

Le "marché noir" a ses ruses, ses escrocs et ses victimes. On payait au prix fort un bidon d'huile qui présentait en surface une petite quantité d'huile d'olive, le reste s'avérant être de l'huile de vidange. C'était, en somme, le "marché des attrape-nigauds". J'ai souvenance d'un paquet de poivre que mon père avait rapporté de Prades. Ce poivre était absolument nécessaire à la confection de la charcuterie. Ma mère ouvre le paquet, sent, et découvre ... un paquet de grains de genièvre séchés. L'imagination des escrocs sera sans borne malgré la méfiance des uns et des autres.

Les Français ont tellement souffert de ce "manque" qu'ils en ont gardé, pour certains, un traumatisme tel, que lorsque l'abondance est revenue, ils ont constitué des stocks en vue des futures privations. J'ai connu une personne qui, dans les années 60, avait encore chez elle un stock de savon de Marseille, constitué après la guerre. Il est vrai que ce fut une des denrées les plus rares.

Les paysans-producteurs avaient un grand pouvoir mais ils étaient très surveillés par les inspecteurs du ravitaillement. Par ailleurs, ils savaient que la majeure partie de ce qu'ils livraient était destinée à l'occupant et à l'Allemagne. Cette dernière assumait son effort de guerre grâce à la production des pays occupés, d'où cette surveillance tatillonne à laquelle le paysan se soustrayait assez facilement. Comme le bétail était recensé, il se trouvait que beaucoup de bêtes "mouraient", surtout des veaux et des agneaux. Pendant l'été 42 je me trouvais au village et mon père avait un veau de lait qui faisait bien plus de 50 kg.  Normalement, il aurait dû le livrer, soit une journée de perdue car il fallait l'amener à Prades et à un prix 50% en dessous de la normale. Comme il y a largement prescription je peux vous dire que nous avons abattu le veau et le soir, lorsque les rues étaient désertes, quelques amis sont venus nous faire une visite d'amitié. Curieusement ils avaient tous apporté un sac vide qui, à leur départ, semblait contenir un énorme morceau de viande.

L'administration était parfaitement consciente du fait que la campagne vivait mieux que la ville qui devait se rabattre sur les topinambours faute de pommes de terre. Aussi, à travers une organisation de l'époque, "Le Secours National", on tenta d'envoyer à la campagne les enfants des familles les plus démunies. Ils étaient destinés à des familles d'accueil et il s'agissait surtout d'adolescents susceptibles de rendre service. C'est ainsi que le famélique adolescent qu'était Michel Perpigna découvrit Mosset en 1942. Il en garda un tel souvenir qu'après la guerre il y entraîna toute sa famille dont tous les membres sont aujourd'hui propriétaires mossétois.

Au niveau de la commune, dès la prise de pouvoir par le Gouvernement de Vichy, il y aura un changement dans l'administration communale. En décembre 40, le Conseil Municipal dont le maire était François Pujol, mais qui avait été présidé dans ses dernières séances par l'adjoint, Gaudérique Bousquet, mon père, sera dissout et remplacé par une Délégation Spéciale de trois membres, présidée par Isidore Monceu, un ancien maire. Cette Délégation va diriger la commune pendant près de quatre ans et ce n'est qu'en août 44 que l'équipe Pujol va retrouver la mairie.

Il semble qu'il n'y aura rien à reprocher à la Délégation Spéciale qui accomplira sa tâche sans compromission. Elle quittera la mairie sans le moindre problème avec la conscience du devoir accompli.

Contrairement à la première, cette guerre ne fera pas de veuves, les prisonniers rentreront et la vie paysanne reprendra son cours normal. Une victime marquante du village sera le curé qui, pris en flagrant délit de trahison, au moment où les maquisards du Col de Jau venaient au ravitaillement, sera emmené par ces derniers et, paraît-il, jugé et fusillé.

Dès le mois de mai, les combats ayant cessé le 8, de nouvelles élections vont porter à la mairie Jean Not, adjoint Camille Monceu. Tous les prisonniers ne sont pas encore rentrés puisque deux d'entre eux seront élus au nouveau Conseil Municipal et seront absents aux premières séances.

Mosset aura reçu de nombreux réfugiés, logés un peu partout, venus du Nord, de l'Est, voire de la frontière italienne, et tous ces braves gens vont pouvoir rentrer chez eux.

Nos paysans n'auront pas été au contact de l'occupant allemand et ce dernier ne fera qu'une brève apparition, sous la forme d'une automitrailleuse venue jusqu'aux abords du village et faisant demi-tour, après avoir lâché quelques rafales de mitrailleuse sur la colline au-dessus du village.

Trois victimes indirectes de la guerre verront leurs noms portés sur le Monument aux morts de la guerre 14/18.

 
Mis à jour le 13/02/2018
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